La poursuite du nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël ne montre pas l’échec du processus engagé par les accords d’Oslo il y a un quart de siècle, mais plutôt les conséquences attendues de l’accord.
Un tribunal israélien a condamné la communauté bédouine palestinienne de Khan al-Ahmar, située à l’est de Jérusalem, à la destruction.
Expulsés de leurs maisons il y a plusieurs décennies lors de la Nakba – le nettoyage ethnique de masse sur lequel l’État d’Israël a été construit – les Bédouins de Khan al-Ahmar sont à nouveau déplacés. C’est l’une des 20 communautés de la région qu’Israël envisage d’effacer.
Cette poursuite du nettoyage ethnique ne montre pas l’échec du processus engagé avec la signature des accords d’Oslo il y a un quart de siècle, mais plutôt les conséquences prévues de l’accord lui-même.
Stratagème de l’oppression
Les accords d’Oslo représentent un stratagème rusé d’oppression, de dépossession et de fragmentation de notre peuple. Après la première intifada, Israël savait que ses tâches cruciales consistaient à coloniser le pays et à renforcer son contrôle sur la population occupée.
Alors que Khan al-Ahmar se prépare à affronter les bulldozers, le moment est venu de revenir sur ces deux principaux modes de domination, cachés derrière la poignée de main historique de 1993 sur la pelouse de la Maison Blanche.
En substance, les accords d’Oslo constituaient le plan directeur pour une «solution bantoustane» de la question palestinienne. Israël voyait dans la classification par l’accord des terres de la Cisjordanie en zones A, B et C un outil d’annexion progressive. Les zones B et C, qui constituent la majorité de la Cisjordanie, devaient être remplies de colonies et éventuellement annexées.
En 1993, moins de 300 000 colons israéliens vivaient en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), dans la bande de Gaza et sur les hauteurs du Golan. Aujourd’hui, ce chiffre a plus que doublé dans les dizaines de colonies de peuplement, et le nombre total de colons continue d’augmenter. La construction de logements pour plus de 27 000 colons a été approuvée dans les territoires palestiniens occupés au cours des six premiers mois de 2018.
Depuis Oslo, Israël a fortement encouragé la construction d’infrastructures de peuplement, et également de zones industrielles, d’hôpitaux, d’universités, d’agro-entreprises, etc. L’objectif est de faire en sorte que la carte géopolitique de la Cisjordanie ressemble à tout autre territoire sous contrôle israélien : des zones israéliennes industrialisées et très développées, entourées de communautés palestiniennes dépossédées ,privées des services de base.
Politique d’expulsion
En 2002, Israël a commencé à construire son mur d’apartheid, qui entoure les villes et les villages palestiniens de Cisjordanie, les isolant ainsi de leurs réserves en terres et en eau ainsi que de Jérusalem. Depuis 1994, Gaza est également encerclée par une clôture, ce qui a pour conséquence logique le siège brutal d’aujourd’hui.
Le projet israélien d’Oslo est complété par une politique systématique d’expulsion de citoyens palestiniens des zones résidentielles réservées à Israël à l’intérieur de la Ligne verte et par l’annexion de la Cisjordanie, à commencer par l’application graduelle du droit civil israélien aux colons, tandis que le régime militaire est appliqué aux ghettos [palestiniens] emmurés.
La deuxième dimension du piège d’Oslo a transformé la direction palestinienne en administrateurs du ghetto. Premièrement, les Accords d’Oslo ont mis en place l’Autorité palestinienne (AP), un organe destiné à superviser la transition vers un État palestinien, en veillant à ce qu’elle dépende à bien des égards des forces d’occupation.
Le regretté dirigeant palestinien Yasser Arafat a ensuite transféré de nombreux pouvoirs, tels que les relations internationales et le contrôle du Fonds national palestinien, le Trésor de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui finance les partis politiques, à l’Autorité palestinienne. Cela a rendu les partis politiques palestiniens et les institutions gouvernementales captifs des objectifs des forces hostiles.
Pour aggraver les choses, il y a dix ans, l’Autorité palestinienne avait veillé à ce que cinq structures internationales, dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, contrôlent et surveillent les dépenses et les politiques palestiniennes. Cela a effectivement mis fin au processus décisionnel indépendant et a imposé le néolibéralisme comme l’option politique de l’État.
Otage du remboursement de la dette
Alors que l’État dépense principalement son argent pour les forces de sécurité formées par les États-Unis et Israël, ainsi que pour de faux projets de développement créant une élite petite mais riche prête à coexister avec l’occupation, la grande majorité de la population est noyée dans une pauvreté croissante.
Le soutien de l’AP aux agriculteurs palestiniens, qui sont les véritables protagonistes de notre résistance et de notre constance, est presque inexistant. Au lieu de cela, les banques sont encouragées à accorder des prêts faciles aux personnes qui ont perdu leurs moyens de subsistance en raison de l’occupation israélienne, les rendant otages du remboursement de leur dette et moins à même de faire face à l’occupation.
La scission actuelle entre le Hamas et le Fatah fragmente encore plus le peuple palestinien, reléguant au second plan la question de savoir comment construire un leadership efficace pour la libération. La question est désormais devenue : qui administrera les Bantoustans ?
Nous avons atteint l’un des points les plus critiques de l’histoire de notre lutte pour la justice. L’idéologie raciste d’Israël – basée sur le principe d’un groupe ethno-religieux dominant un État construit sur la terre de quelqu’un d’autre et défendue par des guerres et des murs infinis – a des partisans ardents à travers le monde, du président américain Donald Trump au premier ministre indien Narendra Modi et à la droite qui progresse en Europe.
Devoir collectif
Cela encourage Israël et le gouvernement Trump à aller au-delà d’Oslo et à écarter unilatéralement les questions essentielles liées à la lutte palestinienne. Ignorant le droit international et le principe du consensus, la Maison Blanche a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël et pourrait réduire de manière arbitraire le nombre de réfugiés palestiniens qu’elle reconnaît de neuf dixièmes. Il a déjà procédé à son retrait du financement de l’agence de secours des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA).
Notre direction n’est clairement pas en état de répondre à cette offensive, ni aux besoins de son peuple et à sa lutte. C’est pourquoi il nous appartient à tous d’assumer la responsabilité collective d’assurer la survie du peuple palestinien.
Nous devons enterrer les héritages néfastes du processus d’Oslo pour laisser la place à de nouvelles alternatives. Nous avons besoin d’un leadership responsable et démocratique, ainsi que de structures décisionnelles capables de traduire la volonté de notre peuples de se sacrifier et de mener une action collective en un programme et une vision communs – un projet qui rejette la «construction de l’État» sous occupation.
Notre lutte est une lutte de libération. Au lieu de faire l’éloge de la «coopération en matière de sécurité» avec la puissance occupante et du marchandage transfrontalier, nous devons recommencer à contester radicalement le projet sioniste de suprématie et d’exclusivité ethnique. Les exigences de la justice sociale et l’élaboration d’une plate-forme d’égalité et de démocratie doivent primer, loin des différends et des querelles des partis politiques.
Se dégager d’Oslo
Nous devons continuer à séparer nos relations internationales des accords d’Oslo. Après 1993, de nombreux pays ont mis fin à leur boycott d’Israël sans d’abord exiger la fin des violations israéliennes des droits des Palestiniens. Aujourd’hui, nous devons exiger que la responsabilité et la justice soient une condition préalable à toute forme de relation.
Le mouvement mondial de BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) dirigé par des Palestiniens est un pas dans la bonne direction. Tout «engagement constructif» avec un État d’apartheid et les entreprises et agences qui le soutiennent constitue une récompense pour leurs violations des droits de l’homme.
Tandis qu’Israël prépare ses bulldozers à détruire les vies et les maisons des habitants de Khan al-Ahmar, nous appelons notre peuple et la communauté internationale à sanctionner et à boycotter Israël et les sociétés qui fournissent les bulldozers utilisés pour notre nettoyage ethnique.
Nous sommes prêts à bâtir sur les ruines de chaque nouveau village détruit une nouvelle génération « post-Oslo », une génération de lutte qui a tiré les leçons du passé. Ce ne sera pas facile, mais Israël ne nous laisse aucune autre option. Notre peuple a montré que la fermeté – le sumud – renaît chaque jour en Palestine.
– Jamal Juma est né à Jérusalem et a étudié à l’université de Birzeit, où il est devenu politiquement actif. Depuis la première Intifada, il s’est concentré sur le militantisme de base. Juma est depuis 2002 le coordinateur de la campagne Stop the Wall et depuis 2012 le coordinateur de Land Defense Coalition, un réseau de mouvements de base palestiniens.
Article publié par Middle East Eye, le 13 septembre 2018