Lettre ouverte des intellectuels arabes, dont le poète Adonis ou le compositeur Marcel Khalifa, surpris par le silence des intellectuels occidentaux dans ce contexte de guerre palestino-israélienne.
“Un massacre sans précédent est en train d’être perpétré actuellement par les forces d’occupation israélienne contre la résistance palestinienne à Gaza et son environnement.
A l’exception des médias qui couvrent ce massacre en le justifiant, une indifférence quasi-générale règne à l’égard des destructions et des crimes massifs que subit le peuple palestinien. Cela n’est guère étonnant eu égard à l’infernale machine de propagande utilisée.
Mais nous, intellectuels arabes, sommes malgré tout surpris par le silence glacial des penseurs des pays occidentaux, de leurs écrivains et de leurs artistes. Nous attendions d’eux, en ce contexte de devoir d’humanité et d’engagement responsable, un soutien clair au peuple palestinien dans la lutte pour ses droits nationaux, justes et légitimes.
Nous sommes en effet d’autant plus surpris que cette attitude est décalée par rapport à celle des forces vives de leurs peuples, dont la solidarité avec le peuple palestinien prend la forme de manifestations récurrentes appuyant ses droits, dénonçant les formes d’oppression, de meurtre et de colonisation, d’encerclement et d’atteinte aux spécificités historiques et religieuses de la Palestine – que pratique impunément Israël depuis la guerre de 1967.
Cette même solidarité est exprimée aussi, avec sens de l’honneur et courage, par un bon d’intellectuels, de créateurs et d’académiques en Amérique et d’autres continents.
En clair, nous attendions une même prise de position ferme des intellectuels occidentaux vis-à-vis des atrocités commises à l’endroit du peuple palestinien. Et pour cause : nous voyons en eux l’élite vivante, garante dans leur société de la défense des valeurs qui ont façonné la civilisation humaine moderne et contemporaine, les droits de l’Homme, la protection de la dignité humaine.
Nous partageons en outre avec ces intellectuels la même foi en ces principes : la liberté, la justice, l’égalité, les droits humains, le refus du dogmatisme et du racisme, la dénonciation de la guerre et l’attachement à la paix, le rejet de l’occupation, la reconnaissance des droits des peuples à la récupération de leurs terres colonisées, à l’autodétermination et à l’indépendance nationale…
Les intellectuels arabes, signataires de cette lettre ouverte, constatent malheureusement un écart béant entre ce que, d’une part, la culture en Occident incline à louer théoriquement comme visions, conceptions et représentations inspirées des référentiels propres aux valeurs et principes évoqués ; et ce que, d’autre part, un grand nombre d’intellectuels occidentaux incarnent comme prise de position tendant tout au contraire à prendre le parti de l’agresseur au détriment des droits de la victime dont la terre est occupée, ainsi qu’à garder le silence sur ses crimes incessants…
Or, faut-il rappeler que la cause palestinienne est considérée internationalement comme une cause juste, et les droits du peuple palestinien font l’objet d’un intérêt particulier de l’Organisation des Nations Unies.
Aussi serait-on tenté de nous interroger : l’attitude des intellectuels occidentaux n’est-elle pas, hélas, en train de subir un fléchissement vers la démarche de « deux poids, deux mesures » caractérisant la politique officielle de leurs pays ? Démarche que nous récusons parce qu’elle frappe en son cœur la mission de la culture et des intellectuels.
Si les politiques officielles occidentales acquises à Israël, camouflant systématiquement ses crimes, visent à falsifier la lutte du peuple palestinien et son mouvement nationaliste taxés de terroristes, il ne peut être admis pour l’élite intellectuelle occidentale de s’aligner sur les mensonges répandus par ces politiques mues par des intérêts qui ne sont nullement ceux de leurs peuples ni les siens propres.
Par ailleurs le fait d’accuser la résistance palestinienne de mouvement terroriste, constitue une violation flagrante des principes du droit international : lequel reconnaît aux peuples le droit de libération de leurs terres colonisées par tous les moyens, y compris par l’usage des armes.
Ce pareil amalgame voulu à dessein, entre la résistance et le terrorisme, n’a d’autre but que de permettre l’expansion de la colonisation, la liquidation de toute résistance légitime, falsifier sa raison d’être et sa portée nationaliste. La question cruciale qui se pose alors est la suivante : existe-t-il au sein des milieux intellectuels en Occident quelqu’un qui serait prêt – intellectuellement, psychologiquement et moralement – à considérer les mouvements de résistance nationalistes en Europe, engagé dans la lutte contre le nazisme et les nazis, de mouvements terroristes ?
il n’est en aucun cas permis, de notre côté non plus, d’excuser ou de tolérer une quelconque forme d’atteinte à la vie et à la dignité d’un individu appartenant à une autre culture, identité ou nationalité.
Nous, signataires de cette lettre, écrivains, chercheurs et artistes du monde arabe, invitons nos partenaires, parmi les intellectuels et créateurs en Occident, à mener ensemble un dialogue raisonné sur les valeurs et les principes que nous avons en partage et, particulièrement, sur la cause du peuple palestinien.
On ne peut, considérons-nous, continuer à s’y dérober parce qu’il importe de dire quelle place réserver à ce peuple et à ses droits, à la lumière des valeurs de notre temps, sans exclusion ni discrimination dont font usage à son égard les politiques occidentales.
Nous sommes confiants que la conscience que nous avons de l’urgence de cette question est à même de permettre une révision profonde des visions erronées et des failles dans lesquelles tombent un bon nombre d’intellectuels et de créateurs en Occident. On sait qu’elles n’ont eu cesse de porter préjudice à la Palestine, à son mouvement nationaliste de libération et aux droits de son peuple.
Il importe donc aujourd’hui de les corriger pour que sur le plan des élites intellectuelles la cause palestinienne puisse être jaugée à l’aune des principes et références que l’Humanité s’était attachée à forger en commun.
Avec objectivité, sincérité et transparence. Loin de toute hypocrisie, tromperie ou dédoublement des normes et des mesures.
C’est le but de cette lettre à travers laquelle ses signataires insistent sur la nécessité d’annuler toute forme d’arbitraire dans l’application des lois issues de tels principes aux peuples et nations”.
Ont signé cette lettre ouverte adressée aux intellectuels occidentaux notamment Adonis (poète), Marcel Khalifa (compositeur), Chawki Bazi (poète), Mohamed Berrada (écrivain), Mohamed Bennis (poète et écrivain), Nabil Slimane (romancier), Alowiya Sobh (romancière), Mohamed Achari (poète et romancier), Nassir Chamma (compositeur), Moncef Al Wahabi (poète), Magdi Ahmad Ali (réalisateur de cinéma), etc. et de nombreux autres chercheurs, artistes et musiciens.