164 organisations de la société civile en Europe dont l’AFPS : Suspension de l’Accord d’Association UE

164 organisations de la société civile en Europe dont l’AFPS

Appel européen : Suspension de l’Accord d’Association UE – Israël !

Une campagne de la société civile européenne centrée sur les institutions de l’UE et les États membres

Les organisations soussignées appellent conjointement à la suspension de l’Accord d’Association UE-Israël au vu des violations des droits de l’Homme par l’État d’Israël dans le Territoire Palestinien Occupé (TPO).

Ces violations des droits de l’Homme constituent clairement une infraction à l’article 2 qui impose aux parties à l’Accord le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques comme élément essentiel de l’Accord.

Nous condamnons sans équivoque toutes les violations du droit international, dont les meurtres de civils et nous appelons les autorités concernées à enquêter à ce sujet sans délai.

Ce qu’il se passe à Gaza est une “crise de l’humanité”, comme l’a déclaré le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. La guerre menée actuellement par Israël à Gaza a causé des pertes civiles massives, la destruction massive d’infrastructures civiles et le déplacement forcé de la population à plusieurs reprises. La plupart des hôpitaux ont été bombardés et détruits par Israël et les équipes médicales tuées. La population de Gaza est confrontée à une immense souffrance, à la famine et aux maladies contagieuses, du fait des attaques continuelles et du blocus exercé par Israël sur la nourriture, l’eau, le carburant, les médicaments et l’aide humanitaire. Les enfants, parmi d’autres groupes vulnérables, ont été particulièrement affectés et de façon dévastatrice.

Le 26 janvier 2024, la Cour de Justice Internationale (CIJ) a jugé que la conduite d’Israël à Gaza constituait un risque de génocide et a ordonné à Israël de prendre des mesures pour l’empêcher. Le 28 mars, la CIJ a de nouveau donné l’ordre à Israël de mettre en œuvre ces mesures préventives. Le 24 mai, la CIJ a donné l’ordre à Israël de cesser immédiatement son offensive militaire à Rafah et d’ouvrir le passage de Rafah pour permettre que la fourniture de services et d’assistance se fasse sans encombre.

Toutefois, les violations des droits de l’Homme par le gouvernement israélien n’ont pas commencé en 2023 et ne sont pas limitées à la bande de Gaza. Des violations systématiques et largement répandues des droits humains telles que la confiscation de terres et de ressources et la discrimination raciale ont été bien documentées au cours des 57 années d’occupation du territoire palestinien et des 17 années de blocus de Gaza. Le Conseil Européen a aussi exprimé à plusieurs reprises son inquiétude quant à l’extension des colonies, au blocus de la bande de Gaza et à l’usage d’une force disproportionnée.

Les preuves de torture et de traitements inhumains des prisonniers palestiniens sont bien documentées. La situation des prisonniers n’a fait qu’empirer depuis octobre 2023, y compris pour ceux de Gaza emprisonnés par l’armée israélienne.

Le 19 juillet 2024, la CIJ a émis un avis consultatif sur les “Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est”. Une de ses principales conclusions est que “les violations par Israël de l’interdiction d’acquérir du territoire par la force et du droit du peuple palestinien à l’autodétermination […], les abus permanents d’Israël liés à sa position de puissance occupante par l’annexion et l’affirmation d’un contrôle permanent sur le Territoire Palestinien Occupé et le fait que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination fasse l’objet d’une privation continue, violent les principes fondamentaux du droit international et rendent illégale la présence d’Israël dans le Territoire Palestinien Occupé. Cette illégalité renvoie à l’entièreté du territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967”. La Cour a ensuite insisté sur le fait qu’Israël agit en rupture de la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, l’interdiction de la ségrégation raciale et de l’apartheid. Dans l’article 279 la Cour considère que “tous les États sont tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence illégale d’Israël dans le Territoire Palestinien Occupé”.

Ces graves violations du droit international et du droit humanitaire n’auraient jamais été possibles si la communauté internationale, dont l’Union Européenne, avait tenu Israël responsable de ses actes et pris des mesures appropriées en réponse. Il est temps que cette approche infructueuse change.

Le respect des droits humains constitue un “élément essentiel” de l’Accord d’Association avec des pays partenaires. Les dispositions de l’Accord d’Association UE-Israël stipulent que les parties s’associent “considérant l’importance que les parties attachent […] aux principes de la Charte des Nations Unies, en particulier au respect des droits de l’Homme et de la démocratie, qui sont la base même de l’Association”. L’article 2 établit que les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques, qui inspirent leurs politiques internes et internationales et qui constituent un élément essentiel du présent accord”.

La violation des clauses dites “éléments essentiels” permet à l’UE de mettre fin à ou de suspendre complètement ou partiellement un Accord d’Association, en accord avec l’article 60 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’article 82 de l’Accord d’Association prévoit que “Chacune des parties peut dénoncer l’accord en notifiant son intention à l’autre partie”, tandis que l’article 79, paragraphe 2, prévoit les règles de procédure applicables dans ce processus.

Les États tiers ont la responsabilité d’empêcher le génocide en vertu du droit international et donc, ils doivent prendre toutes mesures diplomatiques, économiques et politiques en leur pouvoir pour empêcher le génocide à Gaza. Les États membres de l’UE devraient utiliser le moyen de pression et employer tous moyens légaux à leur disposition pour influencer Israël afin qu’il s’abstienne d’actes contrevenant à la Convention sur le génocide et pour mettre fin à l’occupation illégale selon la conclusion de la CIJ, dont la révision des négociations commerciales et des accords.

Notre campagne est dirigée vers toutes les parties prenantes de l’UE dans leurs domaines respectifs de responsabilité :

 Le Conseil Européen a le pouvoir de décider de suspendre l’Accord d’Association : la règle de l’unanimité ne peut être une excuse lorsque les valeurs fondamentales de l’UE sont en jeu.

 La Commission Européenne, en tant que “Gardienne du Traité”, a la responsabilité d’assurer que les traités sont respectés et correctement mis en œuvre (article 17 du TUE), notamment l’article 2 de l’Accord d’Association. La Commission doit examiner et demander des justifications à Israël pour son absence de respect de l’Accord et proposer des mesures appropriées au Conseil ; dans le cas présent, de telles mesures ne vont pas requérir l’unanimité.

 Le Parlement Européen devrait utiliser son poids politique pour exercer une pression sur le Conseil et sur la Commission pour qu’ils assument leurs responsabilités. Il peut le faire en initiant des débats parlementaires, proposant des résolutions et cetera.

 Les États membres de l’UE doivent exiger que la Commission accélère ses investigations quant à savoir si Israël se conforme à l’article 2 ; ils sont aussi les décideurs au Conseil. De plus, ils sont engagés, en tant que signataires de la Convention sur le génocide, à empêcher et à punir la commission du génocide.

Par notre campagne, avec les citoyens de l’Union Européenne, nous exhortons les parties prenantes à agir d’urgence pour faire advenir la suspension de l’Accord d’Association UE-Israël et tous les accords qui lui sont liés, jusqu’à ce qu’Israël se conforme au droit international et au droit humanitaire international et applique les décisions et avis consultatifs de la CIJ.

La suspension de l’Accord d’Association devrait être maintenue jusqu’à ce que l’UE soit assurée que rien dans ses relations avec Israël ne contribue en quelque manière – politique, financière, militaire, technique, commerciale, en rien – à la poursuite de l’occupation et du déni des droits du peuple palestinien. Ce qui est arrivé à Gaza et dans l’ensemble du Territoire Palestinien Occupé est la conséquence de la faillite morale et politique de la communauté internationale. La suspension de l’Accord d’Association en raison des violations par Israël des clauses sur les droits humains n’est plus à discuter, mais représente une obligation pour l’UE d’être en cohérence avec ses propres principes et valeurs. Manquer à cette obligation reviendrait à accepter l’état actuel de profonde illégalité rendu possible par des décennies d’impunité et créerait un dangereux précédent à l’échelle mondiale.

Voir la liste des signataires  sur le site de l’AFPS:

https://www.france-palestine.org/Appel-europeen-Suspension-de-l-Accord-d-Association-UE-Israel

 

Sommes-nous vraiment tous "des Palestiniens" ?

Plus de 400000 manifestants pro-palestiniens descendent dans la rue lors d’une marche nationale à Washington DC pour montrer leur soutien aux Palestiniens et appeler à un cessez-le-feu et à la fin du génocide à Gaza, le 13 janvier 2024. (Photo : Eman Mohammed)

Sommes-nous vraiment “tous les Palestiniens” comme nous le scandons dans les rues de New York et de Londres ? Si c’est le cas, ce cri de ralliement doit abandonner la métaphore et se manifester matériellement par la résistance et le refus. Parce que Gaza ne peut pas rester seule à se sacrifier.

Par Mohammed El-Kurd 13 mars 2024

Ils l’ont appréhendé à l’aéroport, et c’est là, m’a dit mon ami, le “bon côté des choses”. Il savait qu’ils allaient venir le chercher, mais il était terrifié à l’idée qu’ils entrent par effraction et l’arrachent à sa chambre, ce qui est plus traumatisant que d’être arrêté au cours de l’interrogatoire de routine, bien qu’humiliant, auquel on s’attend à l’atterrissage à Tel-Aviv.

Omar sera derrière les barreaux, en détention administrative, pendant les quatre prochains mois. Techniquement, je devrais écrire “pour les quatre prochains mois au moins”, car l’ordre d’incarcération est indéfiniment renouvelable, mais je ne peux pas supporter de penser à cette possibilité déchirante, sans parler de ce qu’ils ont pu lui faire ou lui font encore.

“Il n’y a rien que nous puissions faire”, ont dit d’autres amis lorsque j’ai suggéré que nous fassions campagne pour sa libération. Lorsqu’on devient un détenu administratif – pris en otage sans inculpation ni jugement – aucune pression publique ne peut inciter le commandant militaire à revenir sur sa décision. “Même pas La Haye.

En outre, il aurait méprisé les affiches, les manifestations et les messages sur les réseaux sociaux qui lui sont exclusivement consacrés, car il déteste l’inévitable individualité de ces campagnes. Pourtant, en termes de qualifications nécessaires pour séduire un public occidental et le rendre solidaire, il les possédait toutes : l'”histoire unique”, le “CV respectable”, le “caractère saint”.

Mais des centaines de personnes dans les cachots sionistes connaissent le même sort inconnu. Des dizaines de milliers dont la vie – et pas seulement la liberté – a été décimée, pulvérisée au cours des derniers mois. La plupart d’entre eux sont anonymes, la plupart d’entre eux sont méconnus. Les histoires singulières, surtout lorsqu’elles sont racontées avec insouciance, ont tendance à isoler l’individu du groupe, à sanctifier le premier et à diaboliser le second. Les histoires singulières ont tendance à situer les atrocités commises par l’homme en dehors de la politique, en les réinventant comme des catastrophes naturelles inexplicables.

Omar a été emprisonné précisément parce qu’il refusait cette singularité.

Comme les charges retenues contre lui ne sont pas divulguées, conformément aux protocoles de la prison, je peux supposer que c’est sa présence résolue dans les rues, lors des manifestations et du soutien à la prison, qui l’a placé dans le champ de vision de l’ennemi.

Lorsque Ramallah dormait – ou était droguée, ou anesthésiée dans une paralysie politique – il faisait partie des quelques centaines de personnes éveillées dans la ville endormie, chantant, criant, et envoyant des signaux de fumée désespérés, disant à Gaza, “Vous n’êtes pas seuls”. La géographie mutilée de notre pays ne pouvait pas le séparer (et ceux qui étaient avec lui) du reste de notre peuple, ses yeux surveillaient Gaza, ne s’arrêtant que pour fixer ceux qui regardaient ailleurs.

Il aurait refusé de détourner l’attention de ceux qui survivent en se nourrissant d’aliments pour animaux ou qui recousent les membres de leurs proches sur leurs corps volés ; son arrestation n’est que le symptôme d’une situation bien plus menaçante. C’était là aussi une lueur d’espoir. Croire cela, digérer cette clarté morale et politique est plus facile pour l’estomac que d’admettre sa propre impuissance ou, pire, sa sordide mollesse.

Il y a des années, dans les rues de Ramallah, alors que la ville était en alerte et en pleine effervescence, j’ai fait une plaisanterie morbide. Nizar Banat, un dissident, une sorte de leader politique, venait d’être tué par une force spéciale de l’Autorité palestinienne (cette dernière avait obtenu l’autorisation d’Israël de passer de la “zone A” de Ramallah à la “zone C” d’Hébron, où résidait Banat, pour l’assassiner) et des milliers de personnes protestaient.

“Élevez, élevez, élevez votre voix”, scandions-nous, “ceux qui chantent ne meurent pas”. “Ironiquement”, je me suis tourné vers mon amie, “il est mort parce qu’il a chanté”. Je ne sais pas quoi faire avec la brutalité, sauf en rire. Cela n’a pas amusé mon amie.

Nizar est mort parce qu’il était seul, m’a-t-elle dit.

(C’était, d’une certaine manière, une allusion vulgaire au vers d’Amal Dunqul : “Je suis pendu à la potence du matin / et mon front est baissé par la mort / car vivant, je ne l’ai pas baissé”. Dunqul semblait croire que le bourreau n’épargnerait que ceux qui s’enfouissent la tête dans le sable).

“Ils ne peuvent pas tous nous tuer”, a-t-elle déclaré. Si tout le monde – avocats, médecins, épiciers, chefs d’entreprise, professeurs, gardiens, vendeurs de voitures, trafiquants de drogue – chantait, rien ne pourrait nous tuer, ni les gaz lacrymogènes fabriqués aux États-Unis et lancés par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, ni les balles, également américaines, tirées par les soldats portant l’étoile de David sur leur treillis.

Il reste à voir si cela est vrai – que “le peuple uni ne sera jamais vaincu”. Ce qui est vrai, c’est que notre énigme n’a rien à voir avec la victoire ou la défaite, mais plutôt avec le simple fait que nous n’avons aucune excuse pour nous cacher dans nos silences sécurisés pendant que nos frères et sœurs sont massacrés.

Combien amère, combien honteuse est la survie si elle n’est gagnée que dans la solitude ?

***

Sommes-nous vraiment tous des Palestiniens, par milliers et par millions, comme nous le scandons dans les rues de New York et de Londres ?

Je me suis posé cette question, sans cesse, de manière obsessionnelle. Il y a deux ans, j’aurais dit, déclaré même, que le ciment des barrières militaires israéliennes n’est que cela – du ciment – et que son seul poids est symbolique. Les frontières coloniales, malgré tout ce qu’elles peuvent faire, ne peuvent pas rompre les liens sociaux et nationaux qui unissent nos villes isolées. Nos différents papiers – documents de voyage, passeports, laissez-passer, ou leur absence – ne sont que des mots sur une page, incapables de nous diviser.

Ceux qui sont confinés par un siège ou une incarcération, aurais-je dit, peuvent encore s’émanciper dans leur esprit, ceux qui sont dispersés derrière des murs et des barbelés peuvent encore s’unir dans leur cœur.

Et pourtant, je suis dans les rues de New York et de Londres, en train de manifester, avec une certaine répression, mais pas une bombe lacrymogène en vue, et Omar est dans une cellule d’une des prisons de l’Occupation (dans lesquelles au moins 35 prisonniers politiques palestiniens sont tombés en martyrs depuis le 7 octobre). À Gaza, des hommes en survêtement sont abattus d’une balle dans la poitrine, dans la tête, dans le courage de leur dernière action, qu’il s’agisse de courir vers un Merkava blindé ou de s’enfuir vers une sécurité relative.

Dans le camp de réfugiés de Shatila à Beyrouth, un grand-père vit et meurt hanté par des visions de sa vieille maison au bord de la plage, si viscérales qu’il pourrait presque les sentir. À Jérusalem, je m’inquiète pour la maison de ma famille, pour mon frère qui se rend au travail, pour la police qui a la gâchette facile.

Les autres villes pourraient tout aussi bien être d’autres planètes, chacune ayant sa propre cause principale de décès : tireurs d’élite ici, avions de guerre là, expulsions, exil, effacement, génocide, infanticide, humiliation, chagrin d’amour, bureaucratie, emprisonnement, violence intracommunautaire, vol, soif, famine, pauvreté, isolement, défaitisme, chantage, et j’en passe.

La fragmentation n’est pas seulement symbolique, elle nous a transformés en un million de personnes vivant dans un million d’états à la fois. Un segment de notre société, ce qu’il en reste en tout cas, a payé un prix plus élevé et plus sanglant que le reste au cours des dernières années – un détail que l’on ne peut pas simplement passer sous silence.

Il fut un temps où je pouvais facilement m’éloigner des classes que j’ai longtemps méprisées et enviées (les élites, les bourgeois et ceux pour qui la Palestine est une métaphore esthétique), mais une nouvelle classe a émergé dans l’enfer étroit de la bande de Gaza : les affamés et les dépossédés de façon répétée, implacable, et il est impossible d’être plus qu’un spectateur impuissant, impossible d’appartenir à cette classe, non sans meurtrissures, non sans sacrifices.

Il est tentant, presque réconfortant – en particulier lorsque je regarde la nourriture sur ma table et le toit au-dessus de ma tête – de se laisser aller à la culpabilité, mais c’est un sentiment improductif, qui ne déclenche pas de révolutions. La culpabilité s’impose comme une carie lancinante, vous êtes parfaitement conscient de sa présence, mais vous continuez à vous enfoncer les mêmes sucreries dans la bouche, jusqu’à ce que vos dents pourrissent, jusqu’à ce que vous vous autodétruisiez.

Ces jours-ci, je suis hanté par un refrain plus subtil, mais plus mortel, une prise de conscience non désirée : Gaza a le droit de nous abandonner, de ne jamais nous pardonner, de nous cracher au visage. Combien de guerres a-t-elle affrontées ? Combien de martyrs a-t-elle donnés ? Combien de corps lui ont été volés, arrachés à l’étreinte de leurs pères ? Et combien d’entre nous bégaient lorsqu’on leur parle de résistance, ou renient leur droit de résister, leur besoin de résister ? Combien d’entre nous choisissent leur carrière plutôt que leur famille ? Combien d’entre nous auraient pu faire quelque chose, n’importe quoi, mais ne l’ont pas fait ?

***

Depuis le 7 octobre, de nombreuses personnalités, souvent palestiniennes, en particulier en Occident, ont reconsidéré, voire renoncé, à la catharsis qu’elles avaient ressentie en regardant les images des “bulldozers palestiniens” démolissant des parties de la clôture israélienne encerclant Gaza. Beaucoup ont regretté d’avoir célébré les parapentistes s’échappant de leur camp de concentration. (Je mets “bulldozers palestiniens” entre guillemets parce que c’est une expression incroyable).

“Il n’était pas [encore] évident que des centaines de personnes avaient été délibérément abattues et enlevées”, a écrit un artiste. Il est difficile de croire que quelqu’un ait pu penser que les images spectaculaires du 7 octobre (capturer des chars militaires et danser dessus) s’étaient produites sans effusion de sang. On en vient à se demander si ces excuses latentes n’étaient pas des manœuvres commerciales calculées.

Le monde occidental, avec ses institutions culturelles et universitaires de premier plan, a rejeté le soulèvement de Gaza contre le siège et a exigé que notre intelligentsia agisse en conséquence. Il nous a été ordonné de maintenir le statu quo (un statu quo que beaucoup d’entre nous ont construit leur carrière en le critiquant discursivement) afin de conserver nos positions, notre accès, nos réputations en tant que “bons”.

La soumission à la logique coloniale qui vilipende la violence de l’opprimé et ferme les yeux sur la violence de l’oppresseur est devenue le prix d’entrée. Certains l’ont payé sans hésitation, d’autres ont lutté pour le faire.

Ou bien ce phénomène est beaucoup plus innocent qu’un carriérisme astucieux ; peut-être avons-nous simplement peur. La peur est partout autour de nous. Elle a infesté les salles de presse et les campus, envahi nos appartements et nos lieux de culte. Elle a transformé les déclarations tonitruantes en chuchotements anonymes. Ceux d’entre nous qui se rangent du côté des “enfants des ténèbres” feront l’objet d’un chantage et seront mis à l’index. Les patrons et les dirigeants du monde entier disent à ceux qui les écoutent : “Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes”, en semant la peur dans les cœurs.

Ces angoisses constituent-elles un véritable état psychologique ou sont-elles le résultat d’une politique de peur réussie destinée à étouffer les masses ? Qu’est-ce que cette peur, d’ailleurs, comparée à la peur de mourir de faim, d’être écrasé sous un char militaire, d’être étouffé sous les décombres, d’être le seul survivant de sa famille, d’avoir le cœur qui se brise pour la millionième fois ?

Qu’est-ce que cette peur si ce n’est du théâtre ?

Moi aussi, j’ai peur. Lorsque j’ai appris la nouvelle concernant Omar, beaucoup m’ont dit que je ne devais pas rentrer chez moi, sinon je serais moi aussi menotté. Mais même depuis ma maison de verre, je peux dire avec certitude qu’il n’y a pas de place pour la peur ou le silence. Pas quand nous avons vu des chats errants manger notre peuple, pas quand nous avons vu le sionisme brûler leur chair – la chair de notre peuple– encore et encore avec une impunité inexorable et arrogante.

C’est presque comme si le monde nous racontait une blague morbide : nous vous tuerons si vous résistez et nous vous tuerons si vous vous cachez, et si vous refusez, et si vous cédez, et nous dévorerons votre terre et nous engloutirons vos océans et nous vous tuerons de faim et de soif.

Les massacres seront télévisés, diffusés en plein jour. Nos juges les légaliseront. Nos politiciens, inertes, ineptes ou complices, les financeront et feindront la compassion, s’il y en a une. Nos universitaires resteront inactifs – c’est-à-dire jusqu’à ce que la poussière retombe, puis ils écriront des livres sur ce qui aurait dû être. Leurs institutions pourries nous commémoreront après notre mort.

Et les vautours, même parmi nous, feront la tournée des musées pour glorifier, romancer ce qu’ils ont autrefois condamné, ce qu’ils n’ont pas daigné défendre – notre résistance – en la mystifiant, en la dépolitisant, en la commercialisant. Les vautours feront des sculptures de notre chair. C’est une plaisanterie morbide, mais elle ne m’amuse pas.

***

Nous voici donc à la dernière heure, si tant est qu’il y en ait eu une. La tâche est difficile, ou difficile à définir. Et je ne prêche pas du haut d’une chaire, mais je parle en suffoquant sous le poids de ma propre impuissance, en essayant, désespérément, de comprendre ce que je dois faire.

J’entends dire que nous devons honorer nos martyrs, mais à quoi cela ressemble-t-il de les honorer vraiment ? Témoigner, quoi que cela puisse signifier, n’est pas suffisant, du moins pas en soi. Il ne suffit pas non plus de les honorer avec des berceuses discursives et des slogans vides et pseudo-radicaux.

Le cri de ralliement selon lequel nous sommes tous des Palestiniens doit abandonner la métaphore et se manifester matériellement. Cela signifie que nous tous, Palestiniens ou non, devons incarner la condition palestinienne, la condition de la résistance et du refus, dans la vie que nous menons et la compagnie que nous entretenons. Cela signifie que nous rejetons notre complicité dans cette effusion de sang et notre inertie face à tout ce sang. Parce que Gaza ne peut pas rester seule dans le sacrifice.

Mais la tâche est difficile. Pouvons-nous vaincre le sionisme et mettre fin à son règne monstrueux ? Elle est encore plus difficile à définir : la fragmentation signifie que des choses différentes nous sont demandées dans des lieux différents. Nous sommes confrontés à des défis et à des circonstances disparates. Pouvons-nous inverser les effets de la fragmentation ? La lutte collective semble impossible dans un monde hyper-capitaliste et hyper-surveillé. Une logique peu scrupuleuse nous dit que la discipline politique est une arme inefficace. Et les sacrifices personnels (quitter son emploi, s’immoler, les milliers de choses entre les deux) peuvent sembler futiles, parce qu’ils écrasent celui qui les fait tout en laissant à peine une brèche dans le statu quo.

Mais là encore, il ne s’agit pas de leur statu quo, mais du nôtre. Il s’agit de notre relation avec nous-mêmes et avec nos communautés. Les quelques instants de réflexion avant de s’endormir, la brève rencontre avec le miroir le matin, lorsque nous nous demandons : quels sont les prétextes qui nous dispensent de participer à l’histoire ?

Nous sommes ici sur des planètes différentes, dans des réalités différentes. Les déclarations qui incluent les mots “devrait” ou “doit” courent le risque d’être désobligeantes et de manquer de perspicacité. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce moment important nous invite à relever le plafond de ce qui est permis, et exige que nous renouvelions notre engagement à dire la vérité, à cracher la vérité, sans hésitation, sans retenue (et intelligemment), quelle que soit la salle de conférence, quel que soit le visage de qui. Parce que Gaza ne peut pas lutter seule contre l’empire. Ou, pour reprendre un proverbe aigri que ma grand-mère avait l’habitude de marmonner au journal télévisé du soir, “Ils ont demandé au pharaon : “Qui t’a fait pharaon ?” Il a répondu : “Personne ne m’a arrêté””.

Traduction : AFPS-Rennes

Note du traducteur : cet article tombe à point. Il était devenu hautement nécessaire ! Nos manifs sont parfois squattées par des gens que ne dérange pas le fait de se donner en spectacle, voire de scander des slogans de la rue palestinienne, qui elle, sait de quoi elle parle et en paie le prix fort (“avec mon âme, avec mon sang je me sacrifierai pour toi Palestine”… Entendu – en arabe – dans les rue de Rennes, toute honte bue, par des personnes que ne rebute pas le spectacle qu’ils offrent)… C’est en Palestine qu’on meurt de la guerre et de la colonisation, mais à Rennes on se met en scène ! Pour reprendre les termes de Mohammed El-Kurd, la rencontre avec le miroir le matin… Ça ne doit pas être génial !

 

"Stop Arming Israel" : 11 mars 2024, c'est la journée internationale pour un embargo sur les armes à destination d'Israël !

Alors qu’Israël poursuit son offensive génocidaire sur le peuple palestinien dans la bande de Gaza et ses opérations de nettoyage ethnique en Cisjordanie, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander l’arrêt du commerce des armes entre les grandes puissances occidentales et l’État colonial et d’apartheid. Si les États-Unis, mais aussi d’autres États occidentaux dont la France, arrêtaient de livrer des armes à Israël, toutes les opérations militaires d’Israël cesseraient en quelques jours, faute de munitions et de pièces de rechange. Suite à l’arrêt de la Cour Internationale de Justice ordonnant à l’État d’Israël de prévenir et de punir les incitations à commettre le génocide dans la bande de Gaza, ces États doivent, sous peine de complicité de génocide, cesser d’assister militairement l’armée d’occupation.

Répondant à l’appel des syndicats palestiniens un appel à une journée mondiale d’actions pour exiger l’arrêt des livraisons d’armes vers Israël a été lancé pour le 11 mars 2024.

>> Lire l’appel des syndicats Palestiniens “Mettre fin à toute complicité, Arrêter d’armer Israël”

L’AFPS s’associe pleinement à cet appel et se mobilise pour sa réussite.

Les principales entreprises françaises d’armement, Thales, Safran, Airbus, Excellia, PGM Précision, Amefo Plasan… sont toutes impliquées. Elles possèdent des usines, des bureaux ou des centres de recherche dans de nombreuses villes de France.
Nous invitons les groupes locaux à consulter la carte réalisée par Stop Arming Israël, pour connaître la localisation de tous les sites des entreprises françaises qui vendent des armes ou des composants ou coopèrent avec des entreprises israéliennes d’armement.

>> Consulter la carte des localisations des entreprises

Il est temps de passer à l’action par tous les moyens à notre disposition : rassemblements, diffusion de tracts pour informer les personnels de ces entreprises et la population et tout autre moyen que les groupes locaux jugeront adaptés.

Mettons fin à toutes les complicités. Arrêtons d’armer Israël !

Enregistrement de l’intervention sur l’industrie de l’armement française et ses collaborations avec Israël, Paris, 12.02.2024 avec Laure, Patrice Bouveret, Mathieu Rigouste, Anne Paq.

Via Mathieu Rigouste

https://mathieurigouste.net/Conference-Stop-Arming-Israel-France