Position juridique : La résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant un cessez-le-feu à Gaza est juridiquement contraignante

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Avril 2024

Le 25 mars 2024, après près de six mois de bombardements et de pilonnages intensifs de la bande de Gaza par Israël, dans le cadre d’une campagne militaire jugée plausiblement génocidaire, le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) est parvenu à un accord de cessez-le-feu en adoptant la résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Conseil de sécurité des Nations unies a exigé “un cessez-le-feu immédiat pour le mois de Ramadan, respecté par toutes les parties et conduisant à un cessez-le-feu durable”. Il a également exigé “la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages, ainsi que la garantie d’un accès humanitaire pour répondre à leurs besoins médicaux et autres besoins humanitaires”. En outre, elle a souligné “la nécessité urgente d’accroître le flux de l’aide humanitaire et de renforcer la protection des civils dans l’ensemble de la bande de Gaza”, réitérant sa demande de levée de tous les obstacles à la fourniture d’une aide humanitaire à grande échelle. Il est important de noter que les États-Unis n’ont pas fait usage de leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, traditionnellement exercé en faveur d’Israël, et qu’ils ont préféré s’abstenir lors du vote, ce qui a permis à la résolution d’être adoptée.

Alors qu’Al-Haq, Al Mezan Center for Human Rights et le Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR) se félicitent vivement de cette résolution, nous sommes alarmés par l’intervention des États-Unis qui tentent de diluer l’applicabilité de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et de remettre en question sa nature contraignante. La représentante des États-Unis au Conseil de sécurité, Linda Thomas-Greenfield, a souligné que “bien que sa délégation ne soit pas d’accord avec tous les éléments de la résolution – et n’a donc pas pu voter en sa faveur – elle soutient “certains des objectifs essentiels de cette résolution non contraignante” et que le Conseil doit indiquer clairement que la libération de tous les otages doit accompagner tout cessez-le-feu” (accentuation ajoutée). Lors d’une conférence de presse, le conseiller en communication de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, a publiquement assuré que la résolution 2738 du Conseil de sécurité des Nations Unies était “une résolution non contraignante. Elle n’a donc aucun impact sur Israël et sur la capacité d’Israël à poursuivre le Hamas” et, en tant que telle, “elle ne représente en rien un changement dans la politique [des États-Unis]. Elle est très cohérente avec tout ce que nous avons dit que nous voulions faire ici ( ?). … donc, encore une fois, pas de changement dans notre politique” (accentuation ajoutée).

Lors d’une conférence de presse du groupe des 10 élus à la suite de l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le représentant du Mozambique a souligné que “toutes les résolutions du Conseil de sécurité sont contraignantes et que chaque État membre a l’obligation de mettre en œuvre ces résolutions”. Toutefois, adoptant une position minoritaire contraire, le représentant de la Corée du Sud a expliqué que la résolution n’était pas contraignante car “cette résolution du Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas utilisé le mot “décider” et n’a pas invoqué le chapitre VII de la Charte des Nations unies, de sorte que, juridiquement parlant, elle n’est peut-être pas juridiquement contraignante”.

Analyse juridique

Contrairement aux affirmations des États-Unis et de la Corée du Sud, Al-Haq, Al Mezan et le PCHR établissent que la résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations unies est juridiquement contraignante pour les États. Tout d’abord, comme l’a indiqué à juste titre la Corée du Sud, la base juridique de la nature contraignante des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies se trouve dans l’article 25 de la Charte des Nations unies, qui dispose que “les membres des Nations unies conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité”, sans distinction aucune. La question est donc de savoir ce qui constitue une décision du Conseil de sécurité des Nations unies.

Dans l’affaire des Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 du Conseil de sécurité (1970), la Cour internationale de justice (CIJ) a déterminé que “l’article 25 ne se limite pas aux décisions relatives aux mesures d’exécution, mais s’applique aux “décisions du Conseil de sécurité adoptées conformément à la Charte”, précisant que l’article 25 “est placé, non pas au chapitre VII, mais immédiatement après l’article 24 dans la partie de la Charte qui traite des fonctions et des pouvoirs du Conseil de sécurité”. La Cour a expliqué que : “Compte tenu de la nature des pouvoirs prévus à l’article 25, la question de savoir s’ils ont été effectivement exercés doit être tranchée dans chaque cas, eu égard aux termes de la résolution à interpréter, aux discussions qui y ont conduit, aux dispositions de la Charte invoquées et, d’une manière générale, à toutes les circonstances susceptibles d’aider à déterminer les conséquences juridiques de la résolution”. Dans l’affaire Namibie, la CIJ s’est appuyée sur le libellé de la résolution pour en déduire son effet contraignant et a considéré que des termes tels que “demande” sont suffisamment forts pour lier ses destinataires. Par conséquent, l’absence du mot “décide” dans la présente résolution ne signifie pas qu’elle ne contient pas d’obligations contraignantes puisqu’il existe des termes contraignants similaires, à savoir “exige”. Par conséquent, les destinataires de la résolution, “toutes les parties”, c’est-à-dire le Hamas et Israël, sont liés par celle-ci.

En outre, nous notons que la résolution n’a pas été adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Or, selon l’article 39 de la Charte des Nations unies, ce chapitre est applicable en cas de “menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d’agression”. La situation à Gaza constitue une menace grave pour la paix ou une rupture de la paix et on peut affirmer qu’elle équivaut à un acte d’agression, défini comme “l’usage de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État”. En conséquence, l’article 2, paragraphe 5, de la Charte des Nations unies dispose que “[t]ous les membres prêtent aux Nations unies toute l’assistance possible dans l’action qu’elles mènent conformément à la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à tout État contre lequel les Nations unies mènent une action de prévention ou d’exécution”. Cette disposition a été interprétée par la CIJ dans l’affaire de la réparation des dommages subis au service des Nations unies [1949] comme “exigeant [des membres des Nations unies] qu’ils lui prêtent toute assistance dans toute action entreprise par elle (article 2, paragraphe 5), et qu’ils acceptent et exécutent les décisions du Conseil de sécurité”. Tous les États, y compris Israël et les États-Unis, sont tenus de donner effet au cessez-le-feu.

Conclusion et recommandations

Depuis le 25 mars, Israël a violé de manière flagrante la résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations unies, en poursuivant les hostilités à Gaza, en tuant encore 1 301 Palestiniens et en en blessant 1 520 autres, ce qui porte le bilan entre le 7 octobre et le 12 avril à 33 634 morts et 76 214 blessés, alors que l’on estime à 20 000 le nombre de personnes ensevelies sous les décombres. Compte tenu de l’ampleur des souffrances, de la famine forcée du peuple palestinien, du ciblage et de la destruction systématiques des hôpitaux et des abris, des transferts forcés massifs et de l’anéantissement complet de la bande de Gaza, il ne peut y avoir de retour aux hostilités. L’exigence selon laquelle le cessez-le-feu du Ramadan doit conduire “à un cessez-le-feu durable et viable”, contenue dans la résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations unies, est également juridiquement contraignante pour tous les États. Cette exigence s’appuie sur la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée en décembre, qui exige un cessez-le-feu humanitaire immédiat.

Face au refus persistant d’Israël de se conformer au droit international et d’arrêter le génocide en cours des Palestiniens de Gaza, comme l’exige la communauté internationale, nous appelons le Conseil de sécurité des Nations unies à prendre des mesures supplémentaires et plus contraignantes pour faire appliquer la présente résolution. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit remplir son mandat de maintien de la paix et de la sécurité internationales et adopter des mesures concrètes, y compris des sanctions économiques et individuelles, ainsi qu’un embargo tripartite sur les armes pour obliger Israël à rendre des comptes. Nous nous félicitons vivement de l’engagement pris par le président de la Colombie, Gustavo Petro, de rompre les relations diplomatiques avec Israël en cas de non-respect des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, et nous demandons instamment aux États tiers de faire de même en appliquant des contre-mesures complètes. L’existence du peuple palestinien et la crédibilité de l’ordre juridique international sont en jeu.

Traduction AFPS-Rennes